Historique

La bibliothèque du Grand Séminaire de Liège est probablement une des plus anciennes bibliothèques encore en activité dans notre pays. Bien sûr, on ne peut comparer les quelques livres destinés aux futurs prêtres qui ornaient de pauvres rayonnages à la fin du XVIe s. avec la bibliothèque publique d’aujourd’hui. Néanmoins, le but poursuivi est resté le même jusqu’au début des années 1970, à savoir une bibliothèque pour les séminaristes et surtout leurs professeurs.
Les bibliothèques de Séminaire n’ont pas souvent fait l’objet d’études approfondies. De fait, il a fallu attendre le quatrième centenaire de la fondation du Séminaire pour voir sortir un premier article sur la bibliothèque [1]. Cependant bien des questions restent posées, mais les sources la concernant ne font-elles pas défaut ?

Liège au XVIe siècle. Lithographie de Ch. Claessen

Si le Séminaire est inauguré officiellement le 28 mai 1592 dans les locaux de l’ancien hôpital de Saint-Mathieu-à-la-Chaîne, place de la République française, il faut attendre plus de 20 ans avant d’avoir une trace concernant la bibliothèque. Cependant, on ne peut pas imaginer un établissement dont la prétention est d’apporter une formation intellectuelle à un clergé ignorant sans posséder un minimum de livres. D’autant plus que la présence du vicaire général, Jean Chapeaville, auteur des fameuses Gesta, administrateur et professeur de théologie qui a publié deux ouvrages de théologie qu’il utilise avec les séminaristes, doit inciter à la création d’une bibliothèque [2].

C’est en 1614 qu’apparaît la première mention d’une bibliothèque. Le nonce Albergati, après avoir visité le Séminaire, édicte un règlement dans lequel il est prévu que chaque séminariste, lors de son entrée, paye quatre doubles ducats. Cette somme sera affectée entre autres à la bibliothèque [3]. En 1616, Chapeaville établit une amende pour les séminaristes qui emportent des ouvrages et préconise que dorénavant les livres soient attachés avec des chaînes [4]. Au même moment, une liste relativement courte de livres liturgiques est établie [5].

En 1617, Tossanus Roberti, séminariste depuis 2 ans, est répertorié comme étant le premier bibliothécaire connu [6]. Enfin, les statuts promulgués en 1621 réglementent le rôle du séminariste bibliothécaire : dépoussiérer, fermer, classer [7]. Excepté quelques noms de bibliothécaires, nous n’avons plus d’information jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. Ce n’est probablement pas étonnant dans la mesure où dès sa fondation, le séminaire est confronté à des problèmes d’ordre économique. Pour cette raison, la bibliothèque ne devait pas être très importante.

L’exiguïté et la vétusté des locaux de Saint-Matthieu allaient obliger les administrateurs du Séminaire à déménager. Leur choix s’était porté sur les anciens bâtiments du collège des jésuites wallons libres depuis la suppression de la Compagnie en 1773. Or, ces derniers possédaient une remarquable bibliothèque riche de plus de 12.000 volumes. Si le séminaire s’était déjà porté acquéreur de plusieurs lots de livres lors de la vente d’une petite partie de cette bibliothèque en février 1773 [8], ce n’est qu’en 1786 qu’il prit possession de ses nouveaux locaux. Ceci ne veut pas dire qu’il est devenu le propriétaire des très belles collections des jésuites. On a souvent évoqué une fusion entre les bibliothèques. Il est cependant certain que le Séminaire a dû conserver une bibliothèque qui lui était propre, comme nous allons le constater. D’autre part, en janvier 1787, le prince-évêque Hoensbroeck ordonnait par décret que la bibliothèque des ex-jésuites soit ouverte au public, à charge pour le Séminaire de payer une partie du salaire du bibliothécaire. C’est Jean-Noël Paquot, professeur d’Écriture Sainte qui sera chargé de ce poste avec mission de former « un ecclésiastique de son séminaire pour le mettre en état de pouvoir lui succéder » [9] . Ceci ne doit-il pas nous indiquer que le Séminaire n’est simplement que le gestionnaire d’un patrimoine qui se trouve dans les locaux qui lui appartiennent, d’autant plus que ce décret est promulgué suivant l’avis de la Jointe Jésuitique [10] ?

Mais la tourmente révolutionnaire allait bientôt amener la dispersion de la plupart des bibliothèques religieuses liégeoises.

Les collections du Séminaire n’ont pas échappé au carnage. Lors de la seconde invasion française en juillet 1794, il est décidé de cacher la bibliothèque dans les combles de l’église. Malheureusement, les Autrichiens bombardent la ville en septembre et la toiture de l’édifice est endommagée. Pendant près de deux ans, ces livres vont souffrir des intempéries. Ce n’est qu’en mai 1796 qu’ils seront découverts par les autorités républicaines. Et elles vont achever ce que la pluie et l’humidité avaient commencé, à savoir la disparition quasi totale de ces vieux livres portant la mention « Liber Seminarii ad Cathenam ». Non contente de fournir ces livres pour la fabrication de cartouches de l’armée, elle permettra leur utilisation pour alimenter les feux de la boulangerie militaire installée dans ces mêmes locaux [11]. Mais « ils ne méritent pas d’être conservés : d’ailleurs ne traitant que de la théologie ou scolastique ou polémique et du droit canon ou de l’ascétisme, vraie pâture de Séminaire, ils ne méritent pas d’être regrettés, » ajoute le bibliothécaire A. Symons-Pirnéa, chargé d’inventorier le fonds [12]. À l’heure actuelle, seules 2 éditions portant cette marque d’appartenance ont été repérées dans la bibliothèque du Séminaire.

Au début du XIXe s., alors que les négociations concernant la réouverture d’un séminaire allaient bon train, les autorités diocésaines se sont efforcées tant bien que mal de reconstituer des collections de livres nécessaires pour la formation du clergé. Lammenais lui-même demandait en 1808 « qu’on travaille à former des bibliothèques dans les séminaires, qu’on y établisse des dépôts littéraires semblables à ceux qui existaient autrefois dans un grand nombre de communautés » [13]. Dans cet esprit, l’évêque concordataire Zaepffel réclamait certains doubles d’ouvrages confisqués auparavant aux communautés religieuses. Le même appel était renouvelé en 1809 par les vicaires généraux. En 1817, alors que le séminaire pouvait enfin rouvrir ses portes, le vicaire capitulaire Mgr Barrett obtenait certainement gain de cause et en plus demandait à tous ses diocésains des livres pour constituer au Séminaire « une bibliothèque publique à l’usage du clergé ». À côté des quelque 3.500 ouvrages portant une mention d’appartenance à une communauté religieuse liégeoise sont venus s’ajouter de nombreux dons dont les plus importants sont ceux du chanoine S.P. Ernst avec une partie de la bibliothèque de l’ex-abbaye de Rolduc, de Frankinet, Schwartz…

La grande majorité de ces livres sont contenus dans la Bibliotheca Major. Car il y a une distinction entre la Major et la Minor, puis même une troisième appelée la bibliothèque des élèves (1re mention). En fait, la distinction entre la Major et la Minor n’est pas clairement établie si ce n’est dans les catalogues rédigés lors de la renaissance de la bibliothèque. De même la bibliothèque des élèves semble avoir été absorbée à certaines époques par la Minor. Ce qui est évident, c’est que ces deux dernières contenaient nettement moins d’ouvrages et peut-être moins en rapport avec la théologie. On a surtout l’impression que la bibliothèque est réservée aux professeurs, dont la valeur n’est plus à prouver, le Séminaire étant – surtout au XIXe s. – considéré comme le centre intellectuel du diocèse. Quoi de plus normal dès lors pour un prêtre, voire même un simple laïc, de faire du Séminaire le légataire de sa bibliothèque pour contribuer à maintenir l’étude et la culture religieuse !

Le Séminaire en 1851. Lithographie de Bindels-Huck

Dès 1836, année où est terminé le premier catalogue par l’abbé Beelen, le fonds comporte 10.000 volumes. En 1851, le catalogue par l’abbé Kempeneers en a 15.000 et à l’heure actuelle, il y a près de 200 000 ouvrages. La bibliothèque occupe les caves, le rez-de-chaussée et le 1er étage de l’aile occidentale de l’ancienne abbaye des Prémontrés de Beaurepart. Presque 60.000 ouvrages récents (principalement sciences humaines et religieuses et art) sont à la disposition du grand public dans le libre accès. Le fonds ancien offre plus de 30.000 volumes antérieurs à 1800. Quant à la réserve, elle contient les ouvrages du XIXe s. et de la 1re moitié du XXe siècle. En 1985, une nouvelle étape était franchie avec la reconnaissance par la Communauté française de la bibliothèque du Séminaire comme section spécialisée de la bibliothèque locale Centre Multimédia Don Bosco. La bibliothèque s’ouvrait enfin à tous et à toutes.

L’informatisation en cours permettra d’affronter l’avenir avec confiance.

[1] Jean Gustin, « La bibliothèque du Séminaire », in : Le Grand Séminaire de Liège, 1592-1992, Liège, 1992, p. 257-275.
[2] Il est à constater que le Collège ou Séminaire Liégeois de Louvain, dépendance directe du Grand Séminaire de Liège, fondé entre autres par J. Chapeaville en 1605 pour compléter la formation de certains séminaristes, disposait dès sa fondation d’une bibliothèque. Plus de sept cents titres sont recensés en 1659. Cf. N. Thiemann, Le Collège liégeois de Louvain (1605-1797), mémoire de licence inédit, Liège, 1993-1994, p. 99-101.
[3] Archives secrètes du Vatican, Nunziatura di Colonia, Busta 140, fol. 127 v°.
[4] Archives de l’Évêché de Liège, Séminaire, Q III 32, fol. 24 r°.
[5] Idem, fol 29 r°.
[6] Idem, fol 30 r°.
[7] Texte publié dans A. Grandsard, « Histoire du Grand Séminaire de Liège jusqu’au milieu du XVIIe siècle », in : Bulletin de la Société d’Art et d’Histoire du Diocèse de Liège, XXXIX, Liège, 1955, p. 184.
[8] Le séminaire a acquis 182 lots de livres pour la somme de 147 florins de Brabant et 18 patards. Cf. Archives de l’État à Liège, Couvent, Jésuites, n°75. Voir aussi F. Vanhoorne, A propos de la bibliothèque des jésuites en Isle, mémoire de licence complémentaire en sciences du livre inédit, Liège, 1992-1993, p. 11.
[9] J. Daris, Notice sur les Eglises du diocèse de Liège, IV, seconde partie, Liège, 1871, p. 259. Il est à remarquer qu’une ordonnance du prince-évêque Hoensbroeck datée par Polain de juillet 1791 fixe les modalités d’ouverture de la bibliothèque publique. Cf. M.-L. Polain, Recueil des Ordonnances de la principauté de Liège.
[10] Commission administrative composée de chanoines, chargée de gérer les biens de la Compagnie de Jésus dissoute.
[11] Th. Gobert, « Origines des Bibliothèques publiques de Liège… », Extrait du Bulletin de l’Institut archéologique liégeois, XXXVII, Liège, 19, p. 74.
[12] Archives de l’État à Liège, Fonds français, Préfecture, n° 4583. Voir aussi M. Verbeeck, « Les Bibliothèques de Liège de 1789 à 1914 », in : Archives et Bibliothèques de Belgique, LIX, 1988, p. 108.
[13] P. Fontaine,